Gestion de la pêche, qu'imaginer pour l'avenir ?
J'aimerais vous faire part de quelques-unes de
mes cogitations à propos de ce que nous pêcheurs,
pourrions entreprendre/proposer afin
d'assurer le meilleur avenir possible à notre
passion commune.
Mes réflexions concernent plus précisément la gestion de la
pêche dans le canton de Vaud en Suisse, mais peuvent
sans autre être transposées à la gestion piscicole d'autres
régions/pays.
1 / Réflexion sur la politique de repeuplement en
vigueur compte tenu des nombreuses études Suisses et
étrangères remettant invariablement en question sa
réelle efficacité/opportunité.
2 / Interrogation à propos des pistes à explorer pour
la mise en place, en faveur des sections concernées, d'activités
rémunérées différentes en éventuel remplacement de
celle de pisciculture.
3 / Remise en cause des quotas en vigueur afin de :
- favoriser des captures possibles pour le plus grand
nombre de pratiquants et ceci tout au long des 7 mois que
dure la saison ;
- sauvegarder un nombre suffisant de reproducteurs "sauvages" ;
- redonner une attractivité à ce loisir en vue de
recruter de nouveaux pêcheurs.
4 / Remise en cause des tailles de capture afin de :
- tenir compte de la croissance effective des poissons
dans les 2 principales régions du Canton de Vaud ;
- relâcher un maximum la pression de pêche sur les
géniteurs ;
- favoriser le développement durable du cheptel
piscicole "sans/hors repeuplement".
1/ Politique de repeuplement.
Il était commun de penser jusqu'à il n'y a pas si
longtemps que remettre du poisson dans les rivières
était indispensable et suffirait à assurer la
pérennité du cheptel.
Les statistiques nous montrent malheureusement qu'entre
1979 et 1990 la quantité de poissons pêchés a diminué
de 50% (60% en moyenne pour la Suisse) et a continué de
baisser jusqu'en 2005 (une très légère remontée s'est
amorcée en 2006 dans le canton de Vaud).
Pour triste mémoire, les chiffres Valaisans à ce propos :
En 1978 : 1'251'590 alevins pour 305'621 captures.
En 1999 : 2'090'130 alevins pour 101'713 captures.
Soit en 21 ans : Augmentation de l'alevinage de 67% pour
une baisse des captures de 67% !
Puis, les chiffres Suisses :
Années 1971 à 1974 : 60'000'000 d'alevins pour 1'630'000 captures.
Années 2000 à 2003 : 80'000'000d'alevins pour 480'000 captures.
Soit en 30 ans : Augmentation de l'alevinage de 33% pour une baisse des captures de 70% !
À ce titre, de récentes et de plus en plus nombreuses études démontrent que le rempoissonnement ne se
justifie que dans de très rares cas et pire, qu'il
serait totalement contre-productif et néfaste aux populations en place !
C'est malgré tout, encore à ce jour, la pratique la
plus usitée dans les cours d'eau de notre canton et à
plus large échelle, dans notre pays.
Voici en bref ce que j'ai retenu de mes lectures (liens en fin de texte) :
Les poissons réintroduits en rivière ont un taux de
mortalité supérieur à ceux issus du frai naturel.
Ils soutiennent la densité des truitelles de 1
et 2 étés, mais produisent moins du quart des truites
de mesure capturées à la ligne et très rares seront
celles qui dépasseront une espérance de vie de 3 ans.
Une autre source est plus "radicale" dans son
analyse sur le rempoissonnement en juvéniles (de 6 à 14cm) :
- Efficacité faible (<5% après une année).
- Est sans effet sur les populations en place.
- Est sans effet sur les captures.
- C'est uniquement l'amélioration de la qualité de l'eau et de la morphologie du cours d'eau qui
permettrait d'augmenter le nombre de poissons présents
dans la rivière !
Cette dernière étude corrobore parfaitement les aveux entendus de certains responsables de l'alevinage dans notre beau canton !
"95% des juvéniles meurent très rapidement après leur immersion en rivière..."
Les lâchers de truites surdensitaires (adultes) sont eux
aussi sujets à interrogation puisque le nombre moyen de jours
passés en rivière avant recapture est de 3 à 49
jours (min. 1j - max. 160j).
Le taux de reprise se situerait entre 17% et 30% et il n'y a plus aucune
capture après 1 hiver !
Les lâchers dans des cours d'eau ayant déjà des
conditions favorables à une reproduction naturelle
produisent un effet totalement contre-productif !
Une nourriture insuffisante et un habitat trop restreint
engendrent une surpopulation, il en résulte une
concurrence accrue entre les individus qui
survivront avec comme conséquence : moins à manger,
moins de place, donc qui resteront plus longtemps de petite taille !
Augmentation des risques sanitaires par l'introduction de
maladies (PKD/MRP entre autres) et de germes divers dans le
milieu naturel.
À ce titre, que penser des démarches en
cours visant à autoriser l'alimentation des alevins au
moyen de granulés contenant des antibiotiques ?
Pollution génétique d'éventuelles souches locales qui
seraient encore "pures et originelles" malgré
100 ans d'intromission de poissons issus de "bricolages" plus ou moins "contre-nature".
Plutôt que de continuer à favoriser et financer la
"production" d'alevins, les efforts financiers
devraient dorénavant être mis sur la renaturation des zones
susceptibles d'accueillir la reproduction naturelle et le
soutien à celles existantes.
La pression de pêche, l'adaptation des tailles et le
nombre des captures devraient être plus précisément
évalués par un suivi statistique et des ajustements
faits en tenant compte des différents biotopes existants.
L'alevinage reste par contre l'unique solution en cas de
destruction complète du cheptel, par une pollution ou
des conditions naturelles extrêmes ou pour l'introduction
d'une nouvelle espèce.
Il me semble également indispensable de revoir la
question des zones de réserves en mettant la priorité
sur les affluents des grandes rivières (le chevelu),
puisque c'est majoritairement dans ceux-ci que la reproduction
naturelle se déroule.
2/ Revenus pour les sections.
À l'heure actuelle, une part non négligeable des sommes
obtenues par la vente des permis ou via d'autres fonds
est utilisée en vue du rempoissonnement de nos cours d'eau.
Pour l'année 2005 le plan de repeuplement vaudois était
de 568'106 poissons pour un montant de CHF 190'865.-,
soit un prix moyen à l'unité d'un peu plus de -.33 cts.
Pour nombre de sections l'activité de pisciculture (achat
à l'État d'alevins à vésicule non résorbée,
grossissement puis revente à l'État) représente la
principale source de revenus qui leur permettent l'organisation
de toute une palette d'activités à vocation sociales et/ou
halieutiques.
La remise en cause de cette activité mettrait à coup
sûr, nombre de sections en péril financier si cette
manne venait à se réduire voire disparaître.
Cette préoccupation ressort très clairement des
réponses à la question posée par la SVPR au début de
l'année 2007 aux sections locales, et ceci malgré une
prise de conscience de plus en plus large qu'il
n'y a guère de sens à continuer dans la voie de
cette politique de repeuplement.
Dès lors, comment contourner cet écueil absurde au
changement en assurant aux sections concernées des
rentrées financières suffisantes, en échange de quel
genre de prestations ?
Serait-ce possible par le biais de travaux de
renaturation et d'entretien délégués par l'État, d'activités
de monitoring et de contrôle, etc... ?
3/ Quotas.
Les statistiques montrent qu'au niveau du pays nous
sommes passés de 1'500'000 prises au début des années
1980 à 460'000 prises en 2004, soit une baisse effective
des captures de 70%.
Il est sûr que la diminution du cheptel piscicole n'est
pas à imputer qu'aux pêcheurs comme le montre l'enquête
nationale Fischnetz qui s'est déroulée de 1999 à 2004
néanmoins, c'est une réalité avec laquelle il faut
dorénavant composer afin de réadapter des "règles
du jeu" devenues, à mon avis, totalement
obsolètes.
Au 21ème siècle, l'activité pêche est un loisir, plus
une nécessité permettant de satisfaire sa faim ou
assurer un revenu puisqu'il est malheureusement encore possible de vendre ses prises dans le canton de Vaud !
Il s'agit de remettre au goût du jour les notions du
"assez" et du "partage" en dépassant
une vision consumériste et en mettant en place
rapidement des mesures alliant préservation de la
ressource et prélèvement raisonné.
Aucune raison pour moi de voir donc subsister une
réglementation permettant de garder 10 poissons par jour,
sans limitation mensuelle et 300 sur une saison qui dure
moins de 7 mois.
Cela me semble d'autant plus nécessaire que les
statistiques annuelles "poissons prélevés/permis
vendus" montrent que, dans le meilleur des cas, c'était
une moyenne de 40 poissons/saison dans les années 80 et
que, depuis bientôt 10 ans, cette moyenne stagne à 10
poissons/saison, mais avec 50% de pêcheurs en moins !
La majorité des pratiquants désirent conserver et
consommer leurs éventuelles prises alors, quid du lien
direct à faire entre la raréfaction des captures "possibles"
avec la baisse des permis vendus et la désaffection de
plus en plus importante qui touche ce loisir ?
Il me semble dès lors urgent et nécessaire
d'optimiser les chances de captures pour ladite
majorité en adaptant tailles et quotas à la réalité
de ce que la rivière peut produire, de ce qui y réside
et de façon à ce que la population sauvage puisse
s'y reproduire de façon pérenne dans les
meilleures conditions possible.
Peut-être bien qu'une minuscule frange d'irréductibles (moins de 1% des pêcheurs) visant
avant tout la "rentabilité" et les 300 prises
par saison cesseront d'acheter leur permis si des mesures
et des quotas différents sont instaurés, mais quid d'un renouveau
d'intérêt pour cette activité et l'arrivée de
nouveaux et nombreux pratiquants si une perspective de prises est
rendue possible, durant l'entier de la saison, sur un
maximum de cours d'eau, sans devoir être nécessairement
un "Champion du Monde, un bouffeur de kilomètres ou
un éternel estivant" ?
Que dire également d'un attrait touristique supplémentaire non négligeable vu les magnifiques cours d'eau dont nous disposons dans notre beau canton ?
Pourquoi instaurer une limite de capture journalière inférieure à celle actuelle, mais surtout une limite mensuelle ?
Au sortir de l'hiver, donc de période de disette
alimentaire pour les poissons, prendre sa semaine de
congé et/ou profiter des eaux grossies par les orages
pour aller systématiquement "racler" le fond
avec un gros ver permettra de réaliser de très beaux paniers, mais
est-ce bien raisonnable ?
Quid également de la nécessité de "diluer"
législativement les possibilités de captures sur l'entier
de la saison en évitant la pression maximale que
l'on retrouve actuellement durant les mois de mars
à mai.
Ceci permettrait sans doute à de nombreux pêcheurs d’été et de vacanciers d’éviter la pléthore de truites n’ayant juste pas la mesure en juin-juillet-août et qui l’atteint avec grand’peine à fin septembre.
Pour rappel quelques quotas déjà en vigueur dans 3 cantons voisins :
Jura : 3/jours, 20/mois et 60/saison.
Genève : 3/jour et 10/mois.
Neuchâtel : 4/jour, 30/mois et 100/saison.
Pourquoi dès lors ne pas imaginer une nouvelle réglementation en s'en inspirant ?
60 à 100 poissons capturables sur l’entier de la saison représentent, pour l'immense majorité des pêcheurs vaudois, 6 à 10 fois plus de prises possibles que ce que les statistiques annuelles "poissons prélevés/permis vendus" montrent depuis maintenant plus de 10 ans dans notre canton !!!
Une gestion durable de la ressource avec, pour l’immense majorité des pêcheurs, l'optimisation de leurs chances de capture tout en ne les péjorant d’aucune façon par rapport au nombre de prises possible sur la saison !
Serait-ce un avant-goût du paradis halieutique vaudois de ce début de 21ème siècle ???
D’autre part, dans des zones de rivières trop dégradées, pourquoi ne pas adopter une politique identique à celle des lacs de montagne en y déversant régulièrement des truites adultes qui seraient destinées à être rapidement capturées ?
Nombre de pêcheurs pourraient y trouver leur compte et effet secondaire non négligeable, alléger ainsi la pression de pêche dans les rivières/zones abritant une population naturelle.
4/ Tailles de capture minimales.
Jusqu'en 1999 la maille était fixée à 24cm dans
les rivières les plus importantes du canton (l'Aubonne,
la Broye, l'Orbe, la Thielle, la Promenthouse, le Rhône,
la Sarine, la Venoge) et à 22cm dans les autres cours d'eau.
Dès 2000, la dimension minimale a été fixée à 24cm,
sauf dans les rivières des districts d'Aigle et du
Pays-d'Enhaut puis, dès 2006, fixée à 24cm dans toutes
les rivières vaudoises.
La truite atteint sa maturité sexuelle à l'âge de 2
ans, mais sa capacité de reproduction maximale ne
commence qu'à partir de sa 3ème année.
En ayant mis en place des quotas permettant la sauvegarde
de suffisamment de géniteurs et après confirmation de
l'âge moyen des poissons vivant dans les 2 grandes zones
principales de notre canton (Plateau - Montagne) par des
études scalimétriques, pourquoi ne pas imaginer ne
prélever que les individus de la classe d'âge 2+ ainsi
que ceux des classes d'âges 4+ et suivantes ?
Cette "double maille"
signifierait la fin du prélèvement de la classe d'individus
3+ qui sont, comme déjà évoqué, les meilleurs
géniteurs.
Dans la pratique il ne serait pas du tout compliqué ou
ni excessivement contraignant de savoir que demain par
exemple (après confirmation des croissances dans ces
2 zones), je pourrais prélever des truites mesurant de 22cm
à 24cm ou dépassant 30cm dans les rivières du Plateau
ou, mesurant de 20cm à 22cm ou dépassant 28cm dans
celles du district d'Aigle et du Pays d'Enhaut.
Liens :
Vincent Grandchamp - Activités de repeuplement en
truites de rivières / Analyse du point de vue des
pêcheurs et associations de pêcheurs dans cinq cantons
suisses romands
Notamment les pages 9 à 13 résumant les conclusions des
6 études suivantes à propos de la politique de
repeuplement pratiquée jusqu'à présent.
1 / Efficacité des repeuplements piscicoles effectués
en Suisse (2002)
2 / Etude de la Petite Sarine - Rapport final (2004)
3 / Évaluation de l'efficacité du repeuplement et
comparaison des caractéristiques des truites (Salmo
trutta L.) sauvages et introduites dans les rivières de
Haute-Savoie -
Campagne 2002 /
Campagne 2003 /
Campagne 2004
4 / Diagnose piscicole et mesure de l'efficacité des
alevinages en truite sur le Doubs Franco-Helvétique (1994-1999) -
Partie 1 /
Partie 2 /
Résumés :
Gestion /
Milieu
5 / Étude des causes de diminution des populations de
poissons dans les cours d'eau Jurassiens (2004) / Résumé
6 / Sur la trace du déclin piscicole - Fischnetz (2004) / Résumé
Divers documents également à ce sujet.
Jan Baer - Rempoissonnement sans planification - Est-ce possible ?
Bernard Büttiker - Comment peut-on gérer durablement les populations de truites ?
Etude génétique des truites fario sur quinze stations du département de l’Ardèche
Carlo Largiadèr & Daniel Hefti - Principes génétiques de conservation et de gestion piscicoles
Repeuplement en alevins nourris et démographie de la population de truites dans le Redon
Autres documents intéressants (en français et en
allemand) sur le site FIBER.
Atelier de travail "Rempoissonnement en cours d'eau" (Olten - avril 2006)
Séminaire "Rempoissonnement en cours d'eau" (Berne - novembre 2005)
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